Communications dans les sessions thématiques ouvertes > #1 Société circulaire et post-croissance

Contact pour soumission de communication


Anne-Claire Savy : anne-claire.savy@univ-tlse3.fr

Elise Marcandella : elise.marcandella@univ-lorraine.fr

Isabelle Robert : isabelle.robert@univ-lille.fr

Gabriel Colletis : gabriel.colletis@ut-capitole.fr 

 

Résumé

Notre session propose d’aborder la question de l’économie circulaire, au sens de société circulaire transformative (Friant et al., 2020) par l’axe de la post-croissance et d’en étudier l’acceptabilité, les freins, les pistes de dépassement. Comment l’économie circulaire conçue par K. E. Boulding, économiste critique de la théorie classique, de sa logique de croissance infinie dans un monde fini, qui prônait une économie stationnaire, résiste-t-elle toujours à ce constat au bout de 60 ans, et lève encore des boucliers virulents. Quels mécanismes rendent cette idée inacceptable ? Comment évoluent-ils ? Des initiatives, des pistes de solutions existent-elles pour la rendre entendable ? Quelles théories sont mobilisables pour construire une société circulaire post-croissante ? Toute contribution théorique, empirique ou méthodologique, à cette compréhension du lien entre économie circulaire et post-croissance sera bienvenue. L’ouverture interdisciplinaire sera particulièrement appréciée pour appréhender plusieurs facettes de cette problématique.

Mots clés

Société circulaire, post-croissance, décroissance, état stationnaire, acceptabilité

Cadrage et objectif de la session

Le concept d'économie circulaire est né de la pensée de K.E. Boulding, au moment du franchissement de l'empreinte écologique mondiale, dans les années 1960/70, peu après la première prise de conscience de l’impact de l’activité économique sur la nature avec Silent Spring (Carson, 1962). L’économie circulaire a donc été conçue par l’un des fondateurs de la pensée systémique, critique de la théorie économiste, de sa visée productiviste et consumériste, de sa logique de croissance, inconsciente des limites de l’habitat terrestre (Boulding, 1966, 1972). Depuis, d’abord décrédibilisée par la 2nde loi de la thermodynamique sur l'entropie de la matière empêchant un recyclage indéfini (Georgescu-Roegen, 1971), l’économie circulaire a ensuite été réappropriée par l’économie environnementale (Pearce & Turner, 1990), pour finalement s’institutionnaliser petit à petit depuis les années 2010, dissociée de son ancrage dans l'état stationnaire (Daly, 1972). Telle qu’instituée par la Fondation Ellen Mac Arthur, l’Europe, la France, où elle est définie par la Loi de transition énergétique pour une croissance verte (2015-992), elle vise en effet une croissance économique, "verte," c'est à dire découplée de la consommation de matière première, découplée de son empreinte matérielle et écologique.

Pourtant la question de la croissance mobilise de plus en plus la communauté scientifique, représentant selon Kirchherr (2022) près de 10% des publications. Cette littérature évoque les deux trajectoires qui s’ouvrent ainsi aujourd’hui pour aller vers une économie circulaire, la voie d’une 3eme révolution industrielle ou celle de la post-croissance ( Kampelmann, in Cassiers et al., 2018). Bauwens étudie ces deux options et montre que les modèles économiques circulaire – réduire, ralentir, fermer, dématérialiser, intensifier les boucles de matières – réduisant les marges, excluent du marché les entreprises qui les pratiquent et que des effets rebonds conduisent à un indice de circularité qui finalement décroît. Ainsi, pour être durable sur le long terme, seule la voie de la post-croissance semble envisageable (Bauwens, 2021). Fizaine (2021, p. 321‑322) démontre en termes économiques, incluant une baisse de l’extraction, l’impossibilité de mettre en oeuvre une économie circulaire, par une croissance économique « verte ». Il ajoute que « rien n’interdit toutefois la circularité dans le cadre d’une économie en état stationnaire » sous réserve d’un recours majoritaire à des ressources renouvelables et d’extractions qui soient inférieures au taux de régénération de la ressource renouvelable (en matière et énergie).

Cette littérature, bien longtemps après Boulding, appelle ainsi à une société circulaire transformative, une société post-croissance non productiviste, préservant la richesse et l’équilibre dynamique de notre écosystème, intégrant le bien-être humain (Arnsperger & Bourg, 2016; Bauwens, 2021; Friant et al., 2020; James, 2022; Savy & Sarkar, 2024). Comme l’énonçait Boulding, la prise de conscience du caractère limité de notre habitat, incompatible avec une croissance infinie, est un changement fondamental nécessitant au moins une génération : « Les conséquences sur la personnalité, l'éthique, la religion, la famille, la nation, l'entreprise – en fait, toutes les institutions humaines – seront profondes. La culture humaine, développée sur une Terre psychologiquement plate – c'est-à-dire sur un plan infini jusqu'à la boule ronde et fermée du vaisseau spatial Terre –, est une transition psychologique dont nous venons à peine de découvrir les prémices » (Boulding, 1972, p. 23). Effectivement aujourd’hui, à tous les niveaux de notre société, jusqu’aux conflits géopolitiques actuels, apparaissent des résistances, de plus en plus violentes, à une remise en question de notre modèle de croissance. Même au niveau scientifique l’idée de post-croissance soulève encore de très fortes résistances (Kirchherr, 2022)

Ainsi, avec cette session, nous proposons de travailler sur l’acceptabilité sociale, économique, politique et scientifique, d’une économie circulaire ancrée dans une société de post-croissance (Cassiers et al., 2018).

Les contributions pourraient éclairer les freins rencontrés depuis 60 ans pour accepter d’envisager cette économie circulaire non croissante, et des pistes pour y parvenir. Différents cadres théoriques pourraient être envisagés comme le courant de l'économie sociale et solidaire (Defalvard, 2023 ; Hiez, 2022 ; Marcandella ; 2022), la gestão sociale (Eynaud & França de Filho, 2019), l'économie évolutionniste (Brette, 2005) ou encore des modes d'existence (Latour, 2012). Toute ouverture théorique est bienvenue, notamment en interdisciplinarité pour bien comprendre l’ensemble du mécanisme et l’historique. Des contributions méthodologiques seraient également souhaitées sur des initiatives qui fonctionnent dans une logique post-croissante, dans un système qui reste croissant, identifiant notamment les tensions et les moyens de les dépasser. Enfin, toute contribution méthodologique est également attendue pour appréhender une recherche qui rende possible cette construction de connaissance sur une transition en train de se faire ou qui peine à se faire.

 

Références

Arnsperger, C., & Bourg, D. (2016). Vers une économie authentiquement circulaire. Revue de l’OFCE145(1), 91‑125.

Bauwens, T. (2021). Are the circular economy and economic growth compatible? A case for post-growth circularity. Resources, Conservation and Recycling175, 105852-. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2021.105852

Boulding, K. E. (1966). The Economics of the Coming Spaceship Earth. In In H. Jarrett (ed.) Environmental Quality in a Growing Economy (Johns Hopkins University Press, p. 3‑14).

Boulding, K. E. (1972). The Future of Personal Responsibility. American Behavioral Scientist15(3), 329‑359. https://doi.org/10.1177/000276427201500303

Brette, O. (2005). Un réexamen de l’économie" évolutionniste" de Thorstein Veblen : Théorie de la connaissance, comportements humains et dynamique des institutions [PhD Thesis, Lyon 2]. https://www.theses.fr/2005LYO22006

Carson, R. (1962). Silent spring (Penguin Books).

Cassiers, I., Marechal, K., & Meda, D. (2018). Vers une société post-croissance : Intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux. Editions de l’Aube. https://univ.scholarvox.com/book/88837988

Daly, H. E. (1972). In defense of a steady-state economy. American Journal of Agricultural Economics54(5), 945‑954.

Eynaud, P., & França de Filho, G. C. (2019). Solidarité et organisation : Penser une autre gestion. Erès.

Fizaine, F. (2021). La croissance verte est-elle durable et compatible avec l’économie circulaire ? Une approche par l’identité IPAT. Natures Sciences Sociétés29(3), 312‑325. https://doi.org/10.1051/nss/2021057

Friant, M. C., Vermeulen, W. J. V., & Salomone, R. (2020). A typology of circular economy discourses : Navigating the diverse visions of a contested paradigm. Resources, Conservation and Recycling161, 104917. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2020.104917

Georgescu-Roegen, N. (1971). The Entropy Law and the Economic Process. Cambridge, MA.

Hiez, D. (2022). Les relations ambiguës du droit de l’économie sociale et solidaire et de l’économie circulaire. Revue juridique de l’environnement47(1), 27‑32. https://droit.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2022-1-page-27

James, P. (2022). Re-embedding the circular economy in Circles of Social Life : Beyond the self-repairing (and still-rapacious) economy. Local Environment27(10‑11), 1208‑1224. https://doi.org/10.1080/13549839.2022.2040469

Kirchherr, J. (2022). Circular economy and growth : A critical review of “post-growth” circularity and a plea for a circular economy that grows. Resources, Conservation and Recycling179, 106033-. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2021.106033

Latour, B. (2012). Enquête sur les modes d’existence : Une anthropologie des modernes (La Découverte).

Pearce, D. W., & Turner, R. K. (1990). Economics of natural resources and the environment. Johns Hopkins University Press.

Savy, A.-C., & Sarkar, A. (2024, juin 26). Restoring the holistic circular economy for socio-ecological equilibrium with Boulding. Congrès Interdisciplinaire Sur l’Économie Circulaire 2024. https://hal.science/hal-04530554

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