Communications dans les sessions thématiques ouvertes > #9 Organisations alternatives : faire face aux injonctions contradictoires

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SEHIER Clément : clement.sehier@imt-nord-europe.fr 

MORICEAU Jean-Luc : jean-luc.moriceau@imt-bs.eu 

RICCIO Pierre-Michel : Pierre-Michel.Riccio@mines-ales.fr 

PEILLON Sophie : peillon@emse.fr 

JULLIEN Nicolas : Nicolas.Jullien@imt-atlantique.fr 

Résumé

Cette session vise à mettre en lumière et enrichir l’analyse des tensions contradictoires qui peuvent traverser les organisations dites « alternatives » (société à mission, entreprise de l’ESS, associations, etc.) : autonomie vs. contrôle, financiarisation vs. logique de long terme, réindustrialisation vs. concurrence des territoires, soutenabilité forte vs. greenwashing, etc. Est-il possible de faire émerger une typologie de ces injonctions contradictoires ?  Quels outils conceptuels transdisciplinaires pour les éclairer ? Comment les tensions que l’on peut théoriser au niveau macro sont-elles concrètement vécues par les acteurs ? Comment les organisations alternatives inventent de nouvelles pratiques pour y faire face ? Nous accueillerons les propositions, conceptuelles, empiriques ou essais, issues de différentes disciplines (économie, gestion, sciences de l'information et de la communication, sociologie, etc.) visant à enrichir nos connaissances sur ces injonctions contradictoires, témoigner des pratiques et expériences ou à tenter de les transformer, écrites d'un point de vue académique ou avec la voix de celles et ceux qui les vivent, les subissent, les affrontent.

Mots clés

Injonctions contradictoires, organisations alternatives, ESS, société à mission, associations

Cadrage et objectif de la session

Les organisations intégrant les enjeux socio-environnementaux dans leurs pratiques et dans leur gouvernance sont confrontées à de multiples tensions. Elles se heurtent à la double nécessité d’être rentables dans un environnement concurrentiel, tout en se posant volontairement des limites susceptibles de contrarier à leur profitabilité (Postel, Sobel, 2020).

De nombreuses disciplines ont contribué à enrichir la réflexion sur ces injonctions contradictoires.  Les sciences de la communication ont montré les effets psychologiques et délétères de l’impossibilité de répondre à de telles injonctions et invitent à ne pas isoler les individus qui les subissent, mais à considérer le système complet, et les communications entre les parties (Bateson et al., 1956 ; Watzlawick,  1964). A leur suite, la psychologie clinique du travail (De Gaulejac, 2015 ; Flamme et Arnaud, 2021) montre l'omniprésence de telles injonctions dans le management contemporain, faisant perdre le sens du travail jusqu'à rendre malade. Les sciences de gestion ont montré comment tenter de manager de tels paradoxes, voire d’en tirer des avantages pour l'organisation (Brulhart et al. 2018). Les cadres théoriques critiques trouvent une audience plus large, mais restent largement minoritaires à côté de ceux n’intégrant les enjeux sociaux environnementaux qu’en termes de soutenabilité faible. En économie, alors que l’approfondissement des inégalités, l’aggravation des catastrophes naturelles, l’appauvrissement de la biodiversité et la raréfaction des ressources auraient pu entraîner la disqualification des approches mainstream, celles-ci restent largement dominantes (Labrousse, 2019). Parmi les approches institutionnalistes, les cadres théoriques axés sur l'analyse des contradictions inhérentes aux organisations et au système capitaliste dans son ensemble apparaissent comme particulièrement pertinentes.

Cette session vise à enrichir ces analyses en décrivant et théorisant les différents types de tensions traversant les organisations alternatives – société à mission, entreprise de l’ESS, associations, etc. Elle vise aussi à mettre ne lumière les façons propres d’y faire face. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici certaines des injonctions contradictoires susceptibles d’être analysées dans cette session.

  • De multiples travaux insistent sur la nécessité de renouveler la démocratie, afin qu’elle ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. Des propositions ambitieuses émanent des sciences de gestion et juridiques (Levillain et al., 2020), de l’économie institutionnaliste (Favereau, 2021) et des sciences politiques (Ferreras, 2012). La sociologie du travail nous incite également à douter de la sincérité de nombreux dirigeants, qui proclament d'une part valoriser l'autonomie et la créativité des salariés, tout en continuant de les subordonner à des logiques productivistes, contrôlantes et déshumanisantes (Linhart, 2021).
  • Depuis les années 1970, la financiarisation a réaffirmé la centralité de la valeur actionnariale. La priorité octroyée à la rentabilité à court terme pour dégager un revenu maximum aux actionnaires se diffuse plus largement chez les clients et sous-traitants des grandes entreprises (Rigot et al., 2016). Comment articuler cette contrainte avec la nécessité de prendre en considération des transformations structurelles (lutte contre les inégalités, protection de l’environnement…) ?
  • L’intégration des enjeux socio-environnementaux dans un contexte de compétition internationale exacerbe les contradictions inhérentes aux dynamiques capitalistes. Les pratiques de dumping fiscal, social et environnemental créent une pression concurrentielle accrue sur les organisations qui cherchent à adopter des pratiques plus durables. Plus récemment, la tension sur l’internationalisation de la production se retrouve dans les objectifs de réindustrialisation des territoires. Afin de défendre l’emploi, de protéger l’environnement ou au nom de la souveraineté, les autorités multiplient les soutiens à la production locale, jusqu’à revenir sur le dogme de la non-intervention des pouvoirs publics. Cet objectif se heurte pourtant à la quête de prix faible et de réactivité de la production, limitant jusqu’à présent l’ampleur de la réindustrialisation en France et en Europe.
  • Les entreprises engagées dans la RSE ont tendance à privilégier les actions visibles, susceptibles d’améliorer l’image de l’organisation, au détriment d’une transformation de fond (Parguel, Johnson, 2021). Les sociétés à mission ne sont pas épargnées, et peuvent être accusées de greenwashing lorsqu’elles mettent en avant des initiatives symboliques, sans y adosser de changements structurels. Les organisations évoluant dans un environnement concurrentiel montrent peu d’intérêt à engager des transformations profondes et coûteuses et préfèrent s’engager dans des mesures de soutenabilité faible. L’ESS peut être comprise comme une tentative de répondre aux dysfonctionnements du capitalisme (Boyer, 2023) mais ces initiatives restent généralement de taille restreinte, localisées, voire elles-mêmes liées financièrement à des organisations lucratives.
  • Dans les entreprises de l’ESS comme dans le secteur associatif, se trouve une tension entre les valeurs défendues et une « logique gestionnaire » qui tend à reproduire les modèles dominants (Cortambert, Havet-Laurent, 2024). Les salariés et bénévoles sont amenés à se questionner sur une potentielle « limite », qui si elle était franchie, serait perçue comme un renoncement à leurs ambitions initiales. Quels outils conceptuels ou pratiques permettraient de distinguer des contraintes externes « légitimes », d’une éventuelle compromission ?

Il s’agit donc de documenter et de comprendre comment les tensions paradoxales se configurent dans des situations singulières défiant spécifiquement les formes alternatives, et comment ces organisations inventent des pratiques pour faire face aux injonctions contradictoires.

Références

Bateson, G., Jackson, D.D, Haley, J. et Weakland, J. (1956), Toward a theory of schizophrenia, Behavioral Science, 1(4), 251-264.

Boyer R., 2023, L’Économie sociale et solidaire Une utopie réaliste pour le XXIe siècle, Paris, Les Petits Matins, 130 p.

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