Thème du vingtième Congrès du RIODD
Entre conflits et convergences, comprendre et explorer les dynamiques de l'acceptabilité sociale dans les transitions socio-environnementales
L’âge de l’anthropocène marque un point de bascule du système terre, l’amorce de la grande accélération qui conduit au dépassement des limites planétaires. L’expertise scientifique internationale, -le GIEC pour le dérèglement climatique et l’IPBES pour la biodiversité -, alerte sur la nécessité de changements profonds dans nos façons d’habiter, de nous nourrir, de nous déplacer, de produire, de consommer et de vivre en général. Pourtant, les données les plus récentes indiquent que nous avons dépassé le seuil de 1,5°C de réchauffement, tandis que le grand effondrement de la biodiversité se confirme. La plupart des limites planétaires sont ainsi dépassées. Qu’est-ce qui bloque ?
En dépit d’une multiplicité de politiques publiques, parfois considérées comme timides, insuffisantes ou ineffectives, l’adhésion aux transitions socio-environnementales est régulièrement mise à l’épreuve jusqu’à l’affrontement marquant l’antagonisme des positions et les limites de la délibération. La mobilisation des gilets jaunes en 2018 et la mobilisation des agriculteurs de plusieurs pays européens en 2024 -pour ne citer que ces deux exemples- expriment le rejet de certaines mesures politiques en faveur des transitions socio-environnementales. La capacité des acteurs publics et privés à concevoir et mettre en œuvre des politiques socio-environnementales justes et efficaces est sévèrement ébranlée. La crédibilité de politiques guidées par les objectifs du développement durable est alors remise régulièrement en cause. Et avec elle, les anticipations sont révisées de sorte que l’engagement de nombreux acteurs est fragilisé.
La compréhension des barrières aux transitions socio-environnementales doit ainsi être mise à l’agenda de la recherche, ce qui requiert de questionner la notion d’acceptabilité sociale. Toutefois, afin d’éviter les dérives fréquentes d’instrumentalisation de la notion l’acceptabilité sociale est à analyser à l’aune des dynamiques de pouvoir et des rapports conflictuels inhérents aux processus de transitions socio-environnementales. En explorant son caractère multidimensionnel, processuel et contextuel et ses liens avec les notions de justice environnementale, de confiance, de pouvoir et de délibération démocratique, en tenant compte des verrouillages sociotechniques, peut éclairer la compréhension des facteurs menant à des transitions socio-environnementales véritablement inclusives, équitables et effectivement impactantes.
La littérature spécialisée pointe l’importance de la justice environnementale (i.e. d’une distribution équitable des avantages, des risques et des coûts du changement mais aussi les processus et les règles de délibération et de prise de décision) comme condition de l’acceptabilité sociale. Pour autant, le rôle des organisations a jusqu’à présent été très peu analysé. Comment les organisations peuvent-elles contribuer à établir la légitimité du changement et à créer les conditions de l’adhésion des acteurs concernés ? Par la confiance, par des procédures démocratiques, par des principes de justice environnementale ou/et par la contrainte et la sanction… ? La référence à l’intérêt général et à l’état de nécessité impacte-t-elle l’acceptabilité et donc l’adhésion des différentes parties prenantes ? Certaines formes de gouvernance ont-elles une propension à produire des effets transformateurs plus forts que d’autres ? Comment le fait organisationnel vient se combiner avec les facteurs structurels, économiques, techniques, sociaux, idéologiques, politiques, culturels et psychologiques pour conditionner l’acceptabilité sociale des transitions socio-environnementales ? Comment les pouvoirs politiques et médiatiques viennent conditionner ou pas l’acceptabilité sociale ? A priori, on peut penser que les formes ouvertes et inclusives où le pouvoir du capital est sous contrôle social (comme les organisations de l’économie sociale et solidaire ou les entreprises à mission) ont une propension plus grande à agir en ce sens. Mais est-ce bien le cas ?
Ce 20° congrès du RIODD s’intéressera donc à la description et à l’analyse des modes organisationnels qui facilitent ou qui bloquent les transitions socio-environnementales afin d’identifier des leviers d’action, en questionnant la notion d’acceptabilité sociale. Il invite les participants à aborder ces questions par une diversité d’approches (des démarches théoriques et conceptuelles aussi bien que des travaux empiriques qualitatifs ou/et quantitatifs) et dans une pluralité de perspectives (aussi bien sous l’angle des acteurs qui promeuvent les changements que ceux qui s’y opposent) et de disciplines scientifiques. On s’intéressera tout particulièrement à des expérimentations en cours où les acteurs impliqués mettent l’acceptabilité sociale au travail et recherchent des façons de faire originales et novatrices. Ce congrès invite donc à une approche large des phénomènes, prenant également en compte l’évolution du contexte géopolitique, la multiplication des conflits armés, la remise en cause de l’état de droit, la polarisation de nos sociétés, la vulnérabilité croissante de certaines populations, en bref, ce qui fait que l’on accepte collectivement l’inacceptable. Si le sujet est d’une grande actualité en Europe, l’examen de cas historiques et les comparaisons internationales apporteront de précieux éclairages.
Repères bibliographiques :
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