Communications dans les sessions thématiques ouvertes > #3 Les dynamiques de non-changement comme éclairages théorique et pratique des freins aux transitions socio-environnementales

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 Pascale Château Terrisse : pascale.chateauterrisse@toulouse-inp.fr 

 

Résumé :

Verrouillage, lock-in, dépendance au sentier, résistance au changement, inertie, irréversibilité, mais aussi routine, habitude, manies, voire tradition, conservation, les concepts de l’étude des dynamiques de non-changement sont multiples et témoignent d’une grande diversité de manière d’appréhender ces phénomènes au sein de l’espace des sciences sociales. Le concept de « verrouillage » s’est néanmoins imposé comme un cadre central pour analyser le non-changement, particulièrement dans les domaines des régimes sociotechniques et des politiques publiques.

Cette session invite à proposer des contributions sur les processus de non changement que les approches soient théoriques, empiriques ou conceptuelles. Son cadrage s’appuie sur le contenu d’un ouvrage à paraître de l’équipe Odycée de l’UMR AGIR d’Inrae, s’intitulant « Stuck ». Trois principaux enjeux pour cette session sont identifiés. Tout d’abord, il s’agit de contribuer à la compréhension des conflits dans les transitions socio-environnementales. Ensuite, il s’agit de mettre à plat certaines idées reçues – y compris dans la communauté scientifique – selon lesquelles le changement est forcément souhaitable et positif.  Enfin, il s’agit de donner à voir une diversité d’approches théoriques et de postures d’analyse de ces dynamiques et d’en discuter les complémentarités et les incompatibilités.

 

Cadrage et objectif de la session

Verrouillage, lock-in, dépendance au sentier, résistance au changement, inertie, irréversibilité, mais aussi routine, habitude, manies, voire tradition, conservation, les concepts de l’étude des dynamiques de non-changement sont multiples et témoignent d’une grande diversité de manière d’appréhender ces phénomènes au sein de l’espace des sciences sociales.

Ces concepts sont mobilisés dans l’étude d’une multiplicité de processus de changement – transition ; révolution ; bifurcation ; évolution ; transformation ; création ; innovation ; etc. – appliqué à des domaines d’étude et des dynamiques sociotechniques diverses comme l’écologisation ; la digitalisation ; la territorialisation ; etc.

Le concept de « verrouillage » s’est néanmoins imposé comme un cadre central pour analyser le non-changement, particulièrement dans les domaines des régimes sociotechniques et des politiques publiques. Il est couramment utilisé pour expliquer pourquoi certains systèmes résistent à la transformation malgré des signaux clairs de nécessité de changement. Cependant, cette adoption généralisée, tant par les chercheurs que par les acteurs institutionnels, a transformé ce concept en un buzzword qui, paradoxalement, pourrait occulter d’autres formes de stabilité ou d’inertie.

Le concept de verrouillage trouve ses racines dans les théories évolutionnistes de l’économie et des systèmes sociotechniques (David, 1985 ; Arthur, 1989). Il désigne des processus d’auto-renforcement qui maintiennent un système sur une trajectoire donnée, souvent à travers des dépendances technologiques, institutionnelles ou cognitives.

Plutôt que de réduire le non-changement au seul verrouillage, il paraît utile d’explorer la diversité des formes de stabilité en introduisant des cadres complémentaires, tels que (mais non exclusivement) :

  • La maintenance (Star & Bowker, 2000) : une stabilité entretenue par des pratiques quotidiennes, souvent invisibilisées.
  • La résistance (Scott, 1985) : opposition active à un changement perçu comme nuisible.
  • La dérive (Streeck & Thelen, 2005) : une stabilité apparente masquant des évolutions lentes et diffuses.

Cette diversité de concepts renvoie également à une diversité des échelles d’analyse :

  1. individus : ressources et freins aux changements des acteurs, des entrepreneurs , dissonance cognitive, etc.
  2. organisations : difficultés dans les processus d’apprentissage collectif et adoption ou non-adoption des processus d’innovation ; relations de pouvoirs et régulation des systèmes d’actions ; situations critiques.
  3. institutions : l’approche institutionnelle en économie ou en sociologie met l’accent sur la continuité et la reproduction ; l’étude des processus de maintien des institutions par restauration, réparation et renforcement ; les conventions comme instrument de verrouillage ; les théories évolutionnistes du changement technique ; l’étude des résistances et mobilisations collectives en sociologie du travail.

Ce cadrage présenté pour la session, s’appuie sur le contenu d’un ouvrage à paraître de l’équipe Odycée de l’UMR AGIR d’Inrae, s’intitulant « Stuck ».

Enjeux

Trois enjeux justifient la proposition de cette session portant les processus, cadres théoriques et cas empiriques de non changements. 

  • Tout d’abord, il s’agit de contribuer aux conflits dans les transitions socio-environnementales en montrant ce qui coince et en expliquant pourquoi cela coince (ou ce qui ne se passe pas comme prévu, ou encore ce qui ne se passe pas), et non seulement ce qui fonctionne et converge.
  • Ensuite, il s’agit de mettre à plat certaines idées reçues – y compris dans la communauté scientifique – selon lesquelles le changement est forcément souhaitable et positif (injonction sociale et politique à changer). Le non-changement n’est pas intrinsèquement négatif : il peut constituer un frein à des transformations jugées nécessaires, comme dans le cas des blocages institutionnels limitant les transitions. En revanche, il peut aussi, dans certains cas, être source de résilience, comme dans la préservation des systèmes agricoles traditionnels (Van der Ploeg, 2008). Cette dualité invite à une approche réflexive et critique de l’usage des concepts de stabilité et de changement, tant dans les recherches académiques que dans les politiques publiques.
  • Enfin, il s’agit de donner à voir une diversité d’approches théoriques et de postures d’analyse de ces dynamiques et d’en discuter les complémentarités, les incompatibilités, les points communs et les différences : dépendance de sentier, théories institutionnelles et néo institutionnelles, transition studies, théorie des conventions, approches critiques, etc.

Objectifs

Les principaux objectifs de cette session pourraient être formulés ainsi : 

  1. Faire l’inventaire et favoriser l’interconnaissance des différents cadres d'analyses des phénomènes de blocage, verrouillage et résistance au changement.
  2. Valoriser la compréhension des acteurs et des institutions, des ordres et rapports sociaux pour revendiquer l’apport des SHS sur ces questions et aller au-delà des verrouillages techniques et de l’acceptabilité des innovations technologiques (il y a au-delà des verrous technologiques des verrouillages cognitifs, culturels, réglementaires, politiques...).
  3. Faire discuter l'ensemble de ces cadres en cultivant le débat et la controverse scientifique au sein de la session.

 

Références

Allaire, Gilles, et Robert Boyer. 1995. La grande transformation de l’agriculture: lectures conventionnalistes et régulationnistes. Paris: INRA : Economica. http://public.eblib.com/choice/publicfullrecord.aspx?p=3399068.

Arthur, W. B. (1989). Competing Technologies, Increasing Returns, and Lock-In by Historical Events. The Economic Journal

Arthur, W. B. (1994). Increasing returns and path dependence in the economy. University of Michigan Press.

Çaliskan, Koray. 2010. Market Threads : How Cotton Farmers and Traders Create a Global Commodity. Princeton University Press. https://www.scholarvox.com/catalog/book/88935226.

Cowan, R., & Gunby, P. (1996). Sprayed to death: path dependence, lock-in and pest control strategies. The economic journal, 106(436), 521-542.

David, P. A. (1985). Clio and the Economics of QWERTY. The American Economic Review

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     Geels, Frank W. 2014. « Regime Resistance against Low-Carbon Transitions: Introducing Politics and Power into the Multi-Level Perspective ». Theory, Culture & Society 31 (5): 21‑40. https://doi.org/10.1177/0263276414531627.

Giugni M. G. (1998), “Was it Worth the Effort? The Outcomes and Consequences of Social Movements, Annual Review of Sociology, Vol. 24, pp. 371-393

Jacquet F., Jeuffroy M-H, Jouan J., Le Cadre E., Malausa T., Reboud X., Huyghe C. (coord.), (2022), Zéro pesticide. Un nouveau paradigme de recherche pour une agriculture durable. Versailles, Quæ.

Joly, P. (2013). Chapitre 8. À propos de l’Économie des promesses techno-scientifiques. Dans : Jacques Lesourne éd., La Recherche et l’Innovation en France: FutuRIS 2013 (pp. 231-255). Paris: Odile Jacob. https://doi.org/10.3917/oj.lesou.2013.01.0231

Le Bourhis J., Lascoumes P., 2014. En guise de conclusion / Les résistances aux instruments de gouvernement Essai d'inventaire et de typologie des pratiques. Dans Halpern, C., Lascoumes, P. et Le Galès, P. (dir.), L'instrumentation de l'action publique Controverses, résistance, effets. (p.493-520). Presses de Sciences Po. https://doi.org/10.3917/scpo.halpe.2014.01.0493.

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Mahoney, J., & Thelen, K. (2010). A theory of gradual institutional change. Explaining institutional change: Ambiguity, agency, and power,

Scott, J. C. (1985). Weapons of the Weak: Everyday Forms of Peasant Resistance.

Star, S. L., & Bowker, G. (2000) Sorting Things Out: Classification and Its Consequences

Streeck, W., & Thelen, K. (2005). Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies.

Van der Heijden, J., & Kuhlmann, J. (2017). Studying Incremental Institutional Change: A Systematic and Critical Meta‐Review of the Literature from 2005 to 2015. Policy Studies Journal, 45(3), 535-554.

Van der Ploeg, J. D. (2009). The New Peasantries: Struggles for Autonomy and Sustainability in an Era of Empire and Globalization.

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