Communications dans les sessions thématiques ouvertes > #2 Risques Industriels Majeurs et Environnements

Contact pour soumission de communication

Michèle Dupré : michele.dupre@msh-lse.fr

Jean-Christophe Le Coze : Jean-Christophe.LECOZE@ineris.fr

 

Résumé :

Cette session s’appuie sur un ouvrage collectif interdisciplinaire (histoire, droit, sociologie, ergonomie, géographie, sciences de gestion) paru en avril 2025 aux presses du Septentrion et intitulé : Risques Industriels Majeurs et Environnements – défis pour les acteurs internes et externes. Elle entend élargir à d’autres perspectives les regards croisés dans l’ouvrage entre chercheur.es sur les dangers que représentent encore ces systèmes socio-techniques complexes à un moment où le réchauffement climatique représente de nouvelles menaces : inondations, incendies et élévation des températures et où de manière paradoxale appel est fait à une relocalisation de ces usines dans les territoires. La session est donc en parfait adéquation avec la thématique du Congrès : elle explore l’acceptabilité sociale de ces systèmes à risques, pourvoyeurs d’emplois, mais représentant un danger pour leurs environnements, tant social que naturel.

 

Cadrage et objectif de la session

Les Risques Industriels Majeurs (RIM) liés aux activités industrielles restent des problèmes sérieux toujours d'actualité comme l'ont montré la catastrophe d’AZF en 2001 et l’incendie de l’usine chimique Lubrizol en 2019 à Rouen. Ces questions font toujours l'objet de l'attention de chercheurs ayant une approche de l'intérieur et attentifs à la fabrique de la prévention des RIM au sein de ces systèmes socio-techniques complexes[1] que sont les installations nucléaires, gazières, pétrochimiques, minières, chimiques, métallurgiques, hydroélectriques, etc. Leurs travaux ont pour objectif de décrire et d’analyser la pluralité des actions à mettre en œuvre en interne et en externe avec une visée de dévoilement du fonctionnement interne (Bourrier, 2001, Dupré, Le Coze, 2014, 2021, Hopkins, 2012, Le Coze, 2016, Perrow, 1984, Turner, 1978, Vaughan, 1997). Il est désormais clair que le maintien d'un certain niveau[2] de sécurité[3] résulte d'un ensemble assez complexe de facteurs qui ne se limitent pas à l'application des règles, des consignes, etc.. Ces travaux sont complémentaires de ceux qui abordent la question des RIM  par l’externe, par les territoires par exemple (Bécot, Le Naour, 2023, Flanquart, 2016) ou par l’action publique (Bonnaud, Martinais, 2008).

Or, la période actuelle est marquée par de nouveaux enjeux qui posent à nouveaux frais la question des RIM. Songeons par exemple au réchauffement climatique. D’entités cause de pollution à l’environnement social et technique, ces usines peuvent être aussi touchées par des évènements engendrés par le changement climatique : inondations, incendies, élévation de températures qui influent sur l’utilisation des produits. Pensons aussi au souhait de réindustrialisation[4] exprimée par divers interlocuteurs pour retrouver une ‘souveraineté industrielle’ qui a fait défaut pendant la pandémie de Covid dans une mondialisation qui a étiré les chaines globales de valeurs. Pensons encore à la digitalisation des organisations (télétravail, cybersécurité, automatisation-intelligence artificielle) qui façonne de nouveaux environnements pour les employés, de nouvelles conditions de fabrique de la sécurité au quotidien. Quels en sont les effets pluriels, dans les organisations et dans les territoires concernés par ces nouvelles implantations ? Par ailleurs la relance minière[5] pose de manière nouvelle des questions anciennes, notamment à propos des accidents majeurs qui se produisent dans ces entités productives[6].

L’ambition de l’ouvrage sur lequel s’appuie cette session (Dupré, Le Coze, 2025), était justement d’élargir le regard en faisant se confronter des visions internes et externes, en croisant les regards de chercheur.es de différentes disciplines, vers une meilleure appréhension de leurs potentialités d’articulations, en débordant les temps et les espaces pris en compte par les gestionnaires publics et privés des RIM.

Le problème est que cette nécessité, partagée par la communauté des chercheurs travaillant sur ces questions, ne fait pas l'objet d'un véritable intérêt de la part des acteurs concernés, aussi bien les acteurs économiques que les acteurs politiques. Et cela d'autant moins que les risques majeurs ne sont plus au premier plan sur l'agenda politique, le risque climatique, la transition énergétique ayant un temps occupé tous les esprits (au point que le nucléaire est désormais pensé largement hors risques) avant d’être pour partie remisé en arrière-plan.  Le constat peut être fait que les risques majeurs, aussi graves soient-ils, ont désormais vocation à être gérés discrètement.

Face aux nuisances régulièrement évoquées, aux pollutions engendrées par l’activité productive et aux risques technologiques, force est aussi de constater le faible impact des mobilisations. Exception faite de l’action forte menée sur les PFAS qui ont bénéficié d’un fort relais dans les médias et qui va peut-être se traduire en une loi[7].

On peut alors poser face à cette inaction, la nécessité de prendre la question du devenir des sites industriels à risques majeurs comme une question politique forte à débattre en se détournant d’une vision « manichéenne, par trop simpliste » de la chimie par exemple, comme l’indique Bernadette Bensaude Vincent, philosophe, spécialiste de la chimie : « Chimique, versus naturel, le schéma tout en noir et blanc des débuts du mouvement environnemental n’est plus tenable. » (Bensaude-Vincent, p. 229)

On peut alors envisager des perspectives différentes qui éclairent ces questions par l’interne, ou par l’externe ou de manière croisée. L’une plus externe dans son orientation vise à redéfinir la manière dont la société entend repenser la place de l’industrie dans son environnement social et naturel. Le questionnement est alors large pour une action de long terme :

Quel contrat la société veut-elle passer à la fois avec la chimie et avec l’environnement ? Quel doit être le rôle des industriels ? de l’Etat ? de la société civile dans cette transition vers une industrie plus respectueuse de la santé et de l’environnement ?

L’autre perspective plus interne dans son positionnement, tire les conséquences des transformations en cours.

L’activité de ces usines se fait, excepté en période de crise, à bas bruit dans une mise en œuvre de savoirs et pratiques professionnels coordonnés d’opérateurs, managers et ingénieurs dans leurs interactions au quotidien. Les évolutions en cours indiquées dans ce texte sont autant de nouveaux paramètres pour ces professionnels.

A l’intersection de l’interne et de l’externe, de nouvelles formes d’interactions vont émerger à l’aune des évolutions en cours.

Notre session accueillera des interventions de chercheur.es ayant participé à cet ouvrage, mais aussi toutes les contributions de chercheur.es de disciplines diverses à l’élucidation de ces questions portant sur l’interaction entre : RIM/société/environnement/changement climatique.

Traitant des diverses thématiques et perspectives possibles sus-mentionnées, notre session gagne encore en pertinence à Toulouse, territoire qui avec la catastrophe d’AZF a déjà fait l’expérience des conséquences d’un dysfonctionnement interne sur l’environnement d’une usine.


[1] Elles ont été au centre des échanges organisés au sein du GIS Risques par Claude Gilbert, Olivier Borraz et Pierre-Benoit Joly.

[2] Et non pas d’un niveau certain de sécurité

[3] Comme le montre bien Lascoumes dans ses travaux portant sur l’action publique en la matière (1991, 2012)

[4] Cf.« Réindustrialisation de la France à horizon 2035 : besoins, contraintes et e_ets potentiels », Document de travail, n° 2024-02, France Stratégie. https://www.strategie.gouv.fr/publications/reindustrialisation-de-france-

[5] Romain Gelin, La France à la relance minière, in : Relance minière en Europe, GRESEA Revue N°92 / Octobre/Novembre/Décembre 2017.

[6] Andrew Hopkins, Managing Major Hazards  The lessons of the Moura Mine disaster , Routledge, 2001.

[7] « La France s’apprête à ouvrir la voie. Les députés ont voté, jeudi 20 février, une proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS. En dépit des amendements déposés par les groupes Rassemblement national et Union des droites pour la République pour bloquer le texte, elle a été définitivement adoptée après avoir été votée en première lecture à l’Assemblée nationale, puis au Sénat » https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/02/20/pfas-la-france-s-apprete-a-se-doter-d-une-des-lois-les-plus-ambitieuses-au-monde_6555238_3244.html

 

Références

Bécot R., Le Naour, G., 2023 Vivre et lutter dans un monde toxique, Violence environnementale et santé à l’âge du pétrole Paris, Seuil.

Bensaude Vincent B., 2005, Faut-il avoir peur de la chimie ?, Les empêcheurs de tourner en rond.

Bonnaud L., Martinais  E., 2008,  Les leçons d’AZF : chronique d’une loi sur les risques industriels, Paris, La Documentation française.

Borraz O., Gilbert C., Joly P.B.,2005, Risques, crises et incertitudes : pour une analyse critique. Cahiers du Gis Risques Collectifs et Situations de Crise, n°3.

Bourrier  M (2001), Organiser la fiabilité organisationnelle, Paris, L’Harmattan.

Dupré M., Le Coze J.-C.,2014, Réactions à risques, regards croisés sur la sécurité dans la chimie, Paris, Lavoisier.

Dupré M., Le Coze J.-C., 2021, Des usines, des matières et des hommes, Paris, Presses des Mines.

Dupré M., Le Coze J.-C., 2025, Risques industriels majeurs et environnements, Lille, Presses du Septentrion (à paraître).

Flanquart H., Des risques et des hommes, Paris, Presses Universitaires de France, 2016.

Hopkins A., 2012, Disastrous decisions, CCH Australia.

Lascoumes P (1991), De l’atteinte à la prévention des risques industriels. In : Dourlens C, Galland JP, Theys J, Vidal Naquet PA (1991). Conquête de la sécurité, gestion des risques. ’Harmattan, Paris.

Lascoumes P., 2012, Action Publique et Environnement, ¨Paris, PUF.

Le Coze J.C., 2016, Trente ans d'accidents - Le nouveau visage des risques sociologiques. Toulouse, Octarès.

Perrow C., 1984, Normal accident theory, living with high risk technology,  New York, Basic Books.

Stengers I., 2009, Au temps des catastrophes, resister à la barbarie qui vient, Paris, La découverte, Les empêcheurs de penser en rond.

Turner B., 1978, Man made disasters. The failure of foresight. Wykeham.

Vaughan D., 1997, The Challenger Launch Decision: Risky Technology, Culture, and Deviance at NASA, University of Chicago Press.

 

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